Aérations transparentes
Mes tris reprennent et, cette fois, j'ai retenu une histoire pour les simplifier. Cela commence dans les Alpes, peut-être italiennes. Par un hublot, j'ai vu du blanc, à ne savoir qu'en faire. Il me donnait le tournis et n'entrait pas dans mes catégories : trop profond et trop immense pour moi, je ne pouvais en aucune manière le ranger dans mes placards, que j'aime pourtant dérouler, parfois à l'infini. Cependant, je suis parvenue à cadrer ce blanc, le temps d'un clic instantané. Mais à quoi cela pouvait-il bien servir si, à la seconde suivante, j'avais déjà perdu le fil d'une pérégrination dont je n'étais pas la couturière ?
J'ai posé le cliché avec délicatesse dans le rayon "dentelles", sur une pile maladroite et incertaine. Un jour, j'y reviendrai à ce blanc qui aère l'esprit embrumé. Mon regard s'est alors porté sur l'objet précédent, dont je n'avais fait dans la contemplation qu'une bouchée. M'étais-je trompée de pile?
La transparence moelleuse de la pâte comme celle des nervures vertes des fleurs de courgettes pouvait me donner raison : pizza aussi aérienne que les montagnes zébrées, recouvertes d'une neige ancrée et volatile. Qui l'eût cru ?
A l'école, j'avais appris qu'à trop regarder mes pieds je risquais de me casser la figure dans mes résultats. L'ordonnancement de mes étagères répondait donc à une logique imperturbable consistant à mettre en alliance des impossibles, du moment qu'ils parvenaient à s'imbriquer ensemble ou à tenir bon grâce à leurs formes enlacées. C'est tout ce que j'avais pu envisager avec sérénité pour garder la face et de l'estime dans mon activité de ménagère. Mes aérations transparentes m'allégeaient de divers poids. Et c'est alors, mais alors seulement, qu'après avoir descendu l'échelle savoureuse qui m'avait emmenée jusqu'au plafond du ciel, j'ai regardé mes pieds, et le sol qui les accueillait avec ses marbres vigoureux.
Quelle ne fut pas ma surprise de constater que la spirale et le blanc n'étaient pas réservés aux airs pour rejoindre les hauteurs!
Si je n'osais plus trop marcher, de crainte de rompre le charme de ces très anciens rangements dans la quadrature du cercle, je me sus définitivement terrienne et limitée. Cela me fit grand plaisir. Et j'en ai pété de joie.