Bélier ou capricorne?
Fêtant mon anniversaire sur Google, je me suis senti des ailes avec mon parapluie rouge. Dans le genre, Mary Poppins est la copie anglo-saxonne de Bécassine, sauf qu'elle a, en plus, la technique de pointe du vocabulaire performatif : "supercali-fragilistic-expialidoque".
Cela lui permet de se déplacer dans les airs avec dextérité. Des femmes qui s'élèvent, à la force du poignet ou du langage, ce n'est pas nouveau. Mais encore aujourd'hui, ça fait un peu tache. J'ai bien observé qu'on leur demande des comptes, comme si elles n'étaient pas capables de ces prouesses. Elles ont pourtant des méthodes éprouvées et...magiques.
Si tu fouilles dans le passé, tu vas retrouver la médaille de course automobile de Mémé ou le certificat de pilote de la grand-tante. Et sans aller si loin, tu sais bien que cette femme est la mémoire du groupe familial, qu'on a dressé des couronnes posthumes à telle autre, et que les inspiratrices d'artistes sont pléthore. Peut-être les plus imbéciles, d'ailleurs, car beaucoup se sont fait avoir jusqu'au trognon. De quoi en devenir dingue, parfois, n'est-ce pas Camille ?
C'est pour ça que j'ai bien aimé "la famille Bélier". La gamine se débat avec ses études, ses règles, ses vaches, ses sourdingues de parents et sa voix, dans un trou paumé. C'est une histoire avec des renoncements, plus ou moins bien vécus. La mère chiale dans ses fromages invendus l'histoire de sa jalousie quand la fillotte naît, entendante. Le père gueule - non, il ne peut pas, idiote ! -, enfin disons que c'est tout comme, de voir le maire vendu aux sirènes des lotissements. Et il ne renonce à rien, lui, pour le contrer en politique. Sans voix, il en obtient pourtant : elle est bonne celle-là! Et je te passe en revue tous les soucis et je te taille le portrait des arrivistes, en salle polyvalente. Le fils se lance même dans la drague avec un succès relatif. On les croit rivés à leur destin, ces trois-là, mais ils s'en tapent en gesticulant. Le contraire de la soumission. Ils travaillent leur image avec des photos dans les champs, sapés avec la veste du dimanche, même s'il n'y a jamais eu de dimanche pour un agriculteur-éleveur. Un chouïa écolo pour des citadins, leur branlebas de combat.
Et la gamine qui leur sert de prête-voix, de dame à tout faire pour les commandes au téléphone et l'interview ubuesque, repère et se fait repérer. Repère "le parisien" de service, abandonné. Se fait repérer par le prof de musique croupissant dans un bled dit sans avenir. Une étoile de la chanson peut naître. Renversement. Petit à petit, tu saisis l'incommunicabilité entre humains et tu verses la larme. Elle va gagner un concours peut-être grâce à leur manque, à eux. Cette voix qu'ils n'entendent pas au spectacle de fin d'année. Cette voix applaudie qui laisse pantois. Cette voix qui lui permettra de s'élever, comme Bécassine avec son parapluie rouge? L'héroïne et Bécassine ont les mêmes sabots de franchise et d'énergie. Cette voix obligée de chanter Sardou sort de l'outre-tombe de l'interdit qu'elle s'est fixé pour ne pas dépasser les bornes de la ferme. Et quand le père, sentant que la gamine perce, met sa main sur les cordes vocales de la fillotte, une nuit de désespérance pour elle, un flot de perles se met à couler sur les visages des spectateurs voisins. Toi aussi, tu as pleuré, avoue-le !
Béliers ou capricornes, comme Bécassine. Patauds avec leur voiture jaune de poste qui circule dans Paris comme un cheveu sur la soupe. Plus un poil de sec, c'est l'heure de l'audition. Et le concert n'est plus celui de la voix, mais du geste qui résonne dans le réceptacle de la salle, aussi vide que la nôtre est pleine. Les parents présents entendent alors "je vole". C'est le peu du peu qu'ils ont transmis à leur fille : la ténacité et l'audace.
Je vous mets pas la musique. J'hésitais trop entre Sardou et Louane. Z'avez qu'à cliquer sur le bouton de votre mémoire.
Pas si mal, ta chanson, le vieux ! Mais il fallait cette femme pour lui redonner du tonus.