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Découpage des régions: Picardie 1

Ma grande soeur m'a dit : ça, tu dois le garder.
J'ai obéi un peu et puis j'ai voulu le ressortir.
A cause des régions redécoupées.

Je te dis pas les ennuis pour retrouver un malheureux petit texte de rien du tout dans le bazar de ma boîte aux lettres.

En Picardie, j'ouvre la boîte, la vraie de vraie boîte, je prends le courrier, je mets les pubs à la poubelle, et fini. J'ai pas de courrier.

Il paraît que ça occupe les vieux d'ouvrir des vraies boîtes.
Si le postier passe, c'est mieux. De la chair, de l'os, c'est mieux.

Les autres boîtes, en Picardie, ça ne passe pas toujours. T'achètes des prises, du fil, tu téléphones, quelqu'un vient, revient. Enfin bref, c'est zone sinistrose. "Clouds": les nuages se combinent mal.

Alphabet de Bécassine

Et toc, tu as quitté le village, le réseau revient. Tu regardes ta boîte. Mail, qu'elle s'appelle. Tu cliques "recherche", et voilà ton texte sur la Picardie.
Même qu'il était parti à la corbeille, mais pas encore effacé. Comme j'avais pas fait le ménage de la corbeille, je me suis dit "ouf!". Je la nettoie pas souvent. Quand on a manqué, on se dit : peut toujours servir. Manqué de mots, je veux dire. Pas du reste.

J'ai ressorti le mail, hyper délicatement. Bien plus que quand je prends un mouchoir dans un paquet plastique kleenex. Je voulais surtout pas que mon texte disparaisse dans un autre trou. Vous voyez le geste. Un pouce qui sert d'aspirateur, de marteau, de tournevis, et capable de faire des tournants sur un demi millimètre. J'ai eu une trouille comme j'en avais jamais quand je faisais le ménage. J'effaçais les saletés avec mon chiffon, sans faire dans la dentelle. Et quand j'ai appris à écrire, j'effaçais le tableau noir avec mon jupon. Je sais pas trop combien de nouveaux jupons z'ont trouvé pour effacer tous nos tableaux d'aujourd'hui. On dit écran, en fait. Mais moi, je m'en fiche, je dis tableau. Ecran, j'aime pas.

Bref, la grande soeur m'avait dit: "c'est un morceau d'anthologie, garde-le".
Anthologie, je ne connaissais pas le sens, mais j'ai senti que c'était du très sérieux. Je rajoute un "ne" parce que je sais écrire comme il faut. Ne soyez pas tout de suite méprisants. Je NE connaissais pas le sens de morceau d'anthologie.

Un morceau de : c'est pas un tout. Donc ça fait "un peu de", juste ce qu'il faut normalement.
Anthologie : j'avoue que ça m'a fait atrocement peur.
Cela m'a rappelé l'école où les enfants vont plus tellement. NE vont plus tellement. Je me souviens que les anthologies, c'étaient des morceaux de textes d'auteurs qu'on lirait sans doute jamais. Qu'on NE lirait sans doute jamais. Donc valait mieux le savoir au plus vite. L'anthologie, c'était la corbeille à auteurs, même des bons.
Donc je me suis dit, pour pas déprimer, pour NE pas déprimer, je vais retirer ce mot anthologie, et je vais leur écrire :

"J'ai un petit morceau pour vous, un petit morceau de Picardie."

Sauf que, pendant ce temps-là, mon texte, il a disparu. Avec les yeux, je lui aurais bien dit : reste donc en place, tu vas pas encore faire des tiennes. Tu NE vas pas encore faire des tiennes! C'est très impoli. Reviens, reviens vite.

Le texte, finalement, il est presque plus libre que moi. Y a que des femmes de ménage pour s'en rendre compte. Je peux développer mais j'ai des consignes.

Donc, je vais poser mes doigts, sans m'énerver une seule seconde, les éteindre un peu. Les mettre au repos. C'est plus speedant que le ménage. Au repos, les doigts! Pendant ce temps, tu regardes - si tu peux, sans les doigts - le millefeuille très raplapla de ta boîte à lettres. Pour voir sous quoi il s'est encore caché, le texte. Avec quoi il s'est rangé. S'il se trouve avec la photo de famille ou la facture de machine de linge.

Voilà ce que c'est de jouer la fiérote parce qu'on t'a dit "anthologie, anthologie".

C'est promis.
Je vais finir par retrouver pour vous où est passé le petit morceau de Picardie. C'est une question de temps, comme tout en Picardie.

Bécassine