Découpage des régions: Picardie 2
Voilà le petit morceau de Picardie retrouvé. Je le dédie à une vieille américaine. Vous verrez pourquoi.
"J'y étais dimanche. On peut n'y croiser personne, d'où l'attention redoublée pour le visage du cafetier, vert et gris comme la Picardie, si tant est que son débit de tabac soit ouvert.
Le chauffage ne marchait pas, l'électricité guère plus, juste au rez de chaussée. Va savoir pourquoi. La seule couleur qui pouvait apporter un peu de lumière était celle des dernières fleurs de capucines. Graines plantées au printemps dont je me disais qu'avec un peu de chance elles pousseraient.
Il est possible donc de contempler très peu de choses en ce pays pour le moins mortel. Comme un auteur s'attache à la voix, "The Voice", de la gare d'Amiens, je pouvais chercher, moi aussi, où la vie pouvait bien surgir.
Dernières pommes ramassées, un bouquet piquant de houx au branchage déjà verdi et gras, et je repars parce que j'ai froid de cette humidité sans pluie, qui chatouille les os de bas en haut, au point que la voiture, chauffée, elle, devient un refuge bienvenu.
J'ai laissé sur tous les rebords de fenêtres les colonies de mouches mortes que je retrouverai lors de mon prochain passage, signe que l'hiver approche plus vite en Picardie qu'ailleurs, fredonnant dans ma tête "Roses of Picardy", une chanson de la guerre qu'une vieille américaine de Pennsylvanie me fit découvrir.
Voix éraillée d'un vinyle ancien, à l'image de ce pays à la sombre histoire où se nouent des relations aussi durables que très incertaines, et parfois lourdement pathétiques.
Je suis tout de même revenue avec une flopée de framboises, tout aussi incertaines en cette saison, belles mais gorgées d'eau, au point qu'il a fallu du sucre pour l'aspirer et rendre à celles-ci quelque chose qui ressemblât à du goût. Sans oublier les pommes de terre : 25kg pour 10 euros, pour qui n'a pas le temps de cultiver son champ. A la guerre, comme à la guerre. Je n'aurai plus qu'à les distribuer à des vieux parisiens qui ne parviennent plus à porter leur sac de courses.
La voisine dont la maison a brûlé vit dans une roulotte importée de Roumanie. Je n'ai pas eu le courage de passer la saluer. A l'entrée de l'autoroute, à la sortie de Paris, j'avais vu auparavant les cabanes de Roms, régulièrement démolies par des bulldozers et systématiquement reconstruites, de bric et de broc, et cela m'avait amplement suffi."
Petit rajout au petit morceau de Picardie
Il faut savoir que la maison en Picardie, elle est souvent en rafistolage. Même dans une de ses lettres écrite pendant la guerre de 1914, mon grand-père en parle. Il avait tout vu. C'est le sujet de conversation n° 1. Les fissures, le torchis qui s'affaisse, la fuite de gouttière, le placoplâtre avec lequel on croit pouvoir se calfeutrer maintenant, et c'est pas vrai du tout. Les Picards se retrouvent chez Brico, Casto, et j'en passe. Comme les Roms de la périphérie, sans cesse, ils trafiquent leur toiture, rebouchent, trouvent des solutions de fortune. Ils ne peuvent pas accueillir quelqu'un qui n'a pas un tuyau de plombier, de menuisier, de couvreur, ou qui ne sait pas monter sur une échelle. C'est dans leur peau, le rafistolage avec les petits moyens du bord et les adresses du voisin. Je me demande bien comment ils vont pouvoir faire alliance avec le Nord et le Pas de Calais.
Vu de Paris, tu découpes, tu ranges dans des cases, comme je range traditionnellement mes chaussettes rouges avec mes confitures rouges. Je ne suis pas trop perdue avec les Bécassine ministérielles. Mais, eux, les Picards, les vrais, ils le sont, pour sûr.
Quand tu dois "élargir l'espace de ta tente",- une belle expression d'Isaïe, prophète ancien du village mondial contemporain, que plus grand monde ne connaît- ou l'espace de ta maison avec un poêle à bois, c'est quand même pas très normal qu'on ne te demande pas ton avis.
Bécassine