Faces de Carthage
Chômer de l'écriture, jour après jour, est une ascèse. Les tris de Bécassine se poursuivirent. Silence obscène pendant des mois, comme s'il avait fallu mûrir dans mon cerveau embrumé les lignes qui suivent, pour cause de contemplation prolongée.
Pendant ce temps, même si j'appris que le Nouvel An chinois était sous le signe du Singe, j'ai préféré me pencher sur des poissons et leurs arêtes. Origine bretonne inventée oblige. Prétexte aussi, car j'en garde précisément la vision et le goût.
Assuré sans doute de mon ignorance crasse, le restaurateur du bord de mer m'avait montré auparavant dans son arrière-cuisine, déposées sur de la glace, ses brillantes recrues dont les clients ne feraient qu'une bouchée. Ou presque.
Je les avais toutes déjà observées sur une mosaïque. Dans le même silence obscène que le bouche bée de l'écriture en suspens. De par la crainte, cette fois, de nouveaux attentats au musée du Bardo.
S'il fut un lieu où j'entendis le bruit de mes pas, tandis que mon regard se focalisait pour rassurer mon corps en émoi, ce fut assurément ce cadre-là. Prendre peur de soi-même livré à soi-même. Déambuler en des espaces sidérants. "Fixe l'image et ne crains rien", m'ont sussuré mes amis, les poissons, entassés sur leurs bancs de grisaille.
Plus tard, sur une table dans une maison particulière, j'en ai retrouvé d'autres, dont j'ai aussitôt considéré qu'ils étaient moins vivaces car ils étaient sans dents. On a tôt fait de mépriser les "sans dents", n'est-ce pas ?
Or, il faut être bien fou pour ne pas leur prêter attention, au moins à leurs écailles décoratives de protection.
De l'autre côté de la Méditerranée, en Tunisie, mes tris restent sous le signe du Poisson.
Les enfants savent fort bien que dévorer du regard nourrit également, quand les Smarties viennent à manquer dans le porte-monnaie.