Heimat

Quand elle a vu un film, elle me dit :"il faut le voir", mais je ne sais jamais pourquoi. Tous les gens qui savent pas pourquoi ils font ce qu'ils font, ça me fatigue et ça m'inquiète. Ma raisonnabilité n'est pas excessive. Mais dans la vie, faut quand même savoir un peu ce qu'on fait et pourquoi. Je l'ai appris à l'école.
Ceux qui sont partis de leur pays, comme moi de Bretagne pour danser sur le pont d'Avignon, ont toujours de bonnes raisons de le faire. Ce n'est pas à moi qu'on va l'apprendre.
Lorsque j'ai vu "Heimat", parce que je vais de temps en temps au cinéma, j'ai pleuré. Sur le moment, j'ai trouvé que c'était parfaitement stupide. Pourtant, cela m'a servi plus tard d'avoir pleuré.
Je rencontrais une jeune femme qui a le mal de son pays et je l'ai entendue 5 sur 5. Je ne sais pas ce qui m'a pris, j'ai dit après l'avoir écoutée : "Heimat". Impossible de rattraper le mot. J'étais bien embêtée car je ne savais pas trop si elle comprendrait. Elle a versé des larmes et a demandé un mouchoir.
Cela vaut tout de même la peine d'aller au cinéma et d'y apprendre des mots nouveaux. Je les range dans un coin de ma caboche et ils ressortent, à peine réveillés, comme des zombies. Des mots avec des images avec, pour s'en souvenir vraiment. Quand j'ai dit "Heimat", je voyais ces fuyards pauvres qui ne reviendraient pas chez eux. Leurs descendants, si leurs vieux avaient survécu, peut-être. Et encore!
Je suis sûre que c'est ce que je voyais qui l'a fait pleurer. Ou peut-être ce mot doux quand on sait le prononcer correctement. J'ai pas encore cette prétention.

Si tu rêves un peu avec moi, dans mon alphabet, il y a "aïe" et il y a "mat" que tu prononces comme s'il y avait un "e". Comme échec et mat. Pour le jeu d'échecs, plus de parade. Les larmes versées, c'est quand il n'y a plus de paravent.
"Heimat": la nostalgie douloureuse d'un paradis perdu. C'était pas un paradis, on le sait bien. Mais perdu, quand même.
Au cinéma, j'ai lu attentivement, même si ça passe toujours trop vite. Il y avait un sous-titre : "chronique d'un rêve".
Je ne voudrais pas que cette jeune femme geigne trop sur son "Heimat" à elle. Nous avons tous les nôtres. Ce qui serait sympathique, c'est que son "Heimat", avec le h que tu aspires comme tu peux, grignote un peu le nôtre par sa seule présence et qu'on puisse rêver avec elle de la douceur de vivre.