Marseille au nez

Dès l'escalier de la gare, l'abondance généreuse d'angelots en bronze et de leurs raisins accueille, avec la diversité en prime. Dans la rue qui descend, je charge mon cabas d'échalotes, d'oranges à la taille de pamplemousses et d'oignons rouges. Chez le torréfacteur Noailles, pause café pour choisir le n° 5, tel un parfum de Chanel. Soigneusement empilés jusqu'au plafond, les tissus africains tentent le chaland. Il ne sait plus, après un temps, s'il préfère la savante odeur du savon "Huile de cade" ou celle des épices variées du commerçant qu'on dit guérisseur dans le souk. Confident, certainement !

L'un venait de Toronto et l'autre de Londres. Ils conseillèrent l'entrecôte-frites avec sa sauce délicieuse, comme si n'existait sur le Vieux Port que cette ouverture pour les babines. Etranges anglo-saxons dont le serveur basané semblait se moquer par un sourire en douce. Bien qu'ils soient éméchés par le rosé de Bandol et par les effluves du soleil printanier, par lascive paresse, nous obtempérâmes. Ensuite, il nous faudrait marcher et même grimper. Car le niveau zéro de la mer à Marseille, ville du souffle, est trompeur. Marseille se voit de haut ou se néglige. Il a bien fallu un palais sur une colline pour y fêter l'arrivée de l'eau de la Durance. Et sur une autre qu'on voit de la première, on y célèbre la "Bonne Mère" qui monte la garde. Marseille frappe par ses escaliers.

Devant le palais Borély, la populace avait rempli le parc, devenu pour un jour celui de la fantaisie récupératrice. Mon appareil photo était en panne. J'ai juste flashé pour un visage hissé par la grue. Elle le remit à terre, presque aussitôt après. Deux gars le traînèrent alors sur la pelouse jonchée de papiers sales. Cela faisait peine à voir. Déploiement de carcasses soudain ratatiné.

La ballade jusqu'à Saint Victor me permit de retrouver la couleur autrement, après avoir quitté la noirceur intérieure de la forteresse. Dans le viscéral besoin de lire, je me suis intéressée sur un banc à Edmond. Il est enterré à Marseille, sa ville natale. Il en vient, il y retourna, laissant son nom au moins à un lycée. Il ne me semble pas qu'Arnaga et ses splendeurs puissent effacer Marseille dans la vie de Rostand. Un de ses ancêtres en fut maire et son inénarrable faconde en provient.
Marseille, aux poubelles généreuses comme aux femmes grassouillettes et fardées, se visite au nez. Et si je ne me suis pas récité toute la tirade, les odeurs fortes m'ont rappelé "Pour un parfumeur, quelle enseigne!"

Je fus seule à contempler la faïence stannifère. Du vent, du bleu, de la tempête, rien que pour moi. On dit qu'un dénommé Christ l'apaisa. Comme on dit aussi qu'il en apaisa beaucoup d'autres. Les Marseillais exagèrent. Pour plus d'un marin, ce fut la cagade : le mistral ne pardonne pas.

Marseille, ville de dieux, se ment très souvent, croyant pouvoir cacher ses misères que les tags omniprésents racontent pourtant très abondamment. La Méditerranée a tourné la tête à ses habitants venus de tous les pourtours.

Les Martiens ont presque tous la gueule de bois, au petit matin. On peut les aimer aussi comme ça.