Paroles, paroles...
"Les maîtres du monde devraient se méfier de Bécassine parce qu'elle se tait." Propos du cinéaste Godard et fausseté d'homme : il aurait mieux fait de demander à Bécassine, elle-même, s'il parlait juste. Il la présente comme "se taisant" pour susciter la crainte des "maîtres du monde". Cela l'arrange trop de jouer sur les oppositions.
La manière dont l'histoire se fabrique continue de m'horripiler : Bécassine n'est pas ce que Godard en dit.
Certains regardent la mer, d'autres la terre. Observer les deux les rend malades, comme si l'incessante interaction entre ces terrains vitaux, par les galets et les flopées d'eau trimbalés, leur donnait le tournis.
Fiers de leurs combats qui les mettent à genoux, tant par orgueil qu'humilité, les uns papotent, gueulent, s'exclament, injurient, verbalisent ou discourent, considérant tranquillement que je me tais.
D'autres parviennent à m'entendre, ayant appris que ça jacasse de partout. Question de posture !
Avertie que j'allais être encore ridiculisée sous peu, j'ai dû me rendre sur un des toits du monde pour observer d'autres Bécassine au travail avec leurs seaux, wassingues et poubelles. Le géant Orson Welles y fut aussi, c'est certain : j'ai lu la plaque commémorative de son passage, aux côtés de celle d'Hemingway. Sur Godard, nada ! Ainsi les récits vont comme sac et ressac, faisant croire que nous ne savons pas causer, pelle ou balai en mains. Pourtant, la parole échangée donne de l'énergie, peut même en faire redoubler, de génération en génération, quand nous fermer le caquet pour les besoins de sa cause va nous piquer au vif des viscères et tripes encolérées de "taurelles" aux aguets.
Déambuler sur ce toit du monde m'a rappelé que la longue vue conduisait à repérer des détails, lesquels résument l'ensemble, comme la poussière ramassée péniblement dans nos pelles dit presque tout de la maison ou de la rue.
A force de souligner que je me tais, et les copines de ménage aussi, qui n'ont pourtant pas leur langue dans leur poche, la création de comités internationaux fut rendue nécessaire. On inventa alors des déléguées avenantes, poupées sans sueur ni courbatures, la blonde et la brune pour la satisfaction de tous, images de propagande d'un temps qui ne fut jamais, sauf sur des tableaux russes hyper faussement réalistes. De quoi pourraient donc encore se plaindre, les ménagères, puisqu'elles avaient désormais des porte-parole aguicheuses ?
En cherchant bien, après avoir suivi au millimètre près l'ordonnancement de la frise de l'histoire, celle que mer et terre conjuguées m'avaient davantage enseigné que les humains, dans les récits variés entendus jusqu'alors, j'ai vu une brèche pour le moins impolie : Godard était vraiment une godiche et je pouvais le traiter de flan, en renversant, en deux coups de cuiller à pot, sa phrase toute cuite.
Car un bon maître du monde balaie devant sa porte, plutôt que de réduire au silence. Aussi fallait-il plutôt entendre : "Les Bécassine devraient se méfier des maîtres du monde parce qu'ils parlent."
Ainsi, aux fleurs régulièrement fixées des pans de céramiques andalouses avaient pu se fondre, non sans peine, les pétales odorants et improbables d'une autre fleur, vivante celle-là, que le vent faisait vibrer en toute délicatesse. Virtuose convaincante : la vie se niche dans des détails que la parole ne sait guère traduire.
C'est bien avec un égal plaisir que Bécassine nettoie à l'envers, car bécasse assumée dans l'ordre des choses de l'Histoire qu'elle écrit un peu, les vitres de grands ensembles comme les lunettes de gradés de la culture.