Fin d'année et petits riens

Petit vent de panique lié aux fêtes. C'est toujours pareil. Les gens ont envie et peur de se retrouver. La belle-mère âgée veut encore tout maîtriser et n'y parvient plus, le fils prodigue annonce sa venue une heure avant le repas, les ados filent dès que possible. Manque de chance, les collants dorés viennent de filer. Et pour couronner le tout, l'esseulé de service se fait prier pour rejoindre une table amicale. Les fêtes, c'est pas la fête de tous. Pour les kilos, y en a qui se plaignent des chocolats. Pour le sommeil, y en a qui grignotent sur les heures. Pour la paix, y en a qui se tapent dessus. Et pour le volant, y en a qui jouent aux autos tamponneuses. Bref, les fêtes, c'est plus ou moins chaotique. Comme la vie.

A la fin de l'année, j'ai retenu des petite choses de rien que je vous sors de mon baluchon.

D'abord "La petite fille aux allumettes" à la Comédie Française. Pour se mettre dans la chaude ambiance des fêtes, rien de tel. Histoire d'une Cosette nordique sur fond de vent et de glaçons, à donner le bourdon à la terre entière. Dans la salle comble, pendant que l'héroïne du conte d'Andersen brûlait une de ses dernières cartouches, un de ses derniers bouts de bois avec ses doigts transis de froid, une fillette a sussuré à son père: "J'ai peur, j'ai peur..." Et en sortant, un gamin a dit à sa mère:"Tu t'es complètement trompée, c'est vraiment pas pour les enfants". Bécassine, j'ai ressenti la même chose. Pauvreté et fin de vie foutent la trouille.

Quelques jours plus tard, j'ai eu la preuve que c'était vrai. Des lumignons se balançaient dans le jardin du musée des Arts Forains. Comme j'avais pas trop envie de gêner par mon regard des pauvres qui venaient dîner là, ou plutôt d'être gênée par leur regard au cas où ils auraient essayé de jeter un oeil sur moi, ce qui était pourtant improbable car nous avions vraiment le même comportement maladroit, je me fixais sur ces loupiotes et sur la nuit. Etoilée ? Je ne sais plus. Je me suis sentie encore plus bête que d'habitude. Cela n'a pas duré trop longtemps. Les airs d'opéra ont commencé avec des personnages en cire qui s'animaient, chacun à leur tour. Tous ensemble, abasourdis, on a alors levé la tête pour finalement se regarder. Et même se serrer la pince. C'est précieux de détourner son regard pour le recentrer un peu mieux, après.

Le troisième moment fut peut-être le meilleur. Je me gelais dans un espace assez moche et gigantesque avec trois pelés et quatre tondus, en me demandant ce qui m'avait pris de venir là. On m'a dit que c'était une cathédrale. J'ai été attendrie par un chant de l'enfance que je suis bien incapable de fredonner, dont les paroles m'échappent mais qui me reste. On appelle ça un souvenir. L'homme à la barbe blanche avait une vraie douceur et chaleur dans la voix. C'était sans prétention. Un peu comme une déclaration populaire d'amour.

Là encore, je fus gênée d'être le témoin. Je me suis éclipsée parce que ça me suffisait. Quand une minute est belle, qui sait si la suivante sera à la hauteur? Dans la vieille ville où les bars à bière fermaient les uns après les autres, j'en ai trouvé un. Au moment d'entrer, un jeune homme à qui je venais de demander mon chemin m'a dit :"Bonne fin d'année" avec un sourire amical. J'étais pas seule mais un peu seule quand même, avec ces émotions de la veille et de l'avant-veille. J'ai dit : "Merci". Sans plus. C'était juste ce qu'il me fallait pour me revigorer. Pour avoir le courage de demander mon chemin, encore une fois, des heures plus tard, dans la nuit noire. Demander son chemin? C'est comme un aveu de faiblesse pour passer d'une année à l'autre sans ces certitudes qui peuvent le barrer.

Je vous l'avais dit : juste des petites choses de rien du tout, sorties de mon baluchon. Voir grand et râtisser large : je n'ai pas encore appris. Cela viendra peut-être.