Traces
L'été laisse son lot de traces. Des indélébiles et des légères. Bécasse de service, la "brave" comme on dit, tu te retrouves passablement vide à sa sortie.
Même les images accumulées pour nourrir la pensée se diluent dans la pollution du retour chez soi et de très vilaines démarches à entreprendre. Les programmes effacent très violemment les traces.
D'abord le sable...
C'était en fin de journée et la mer se retirait. Seul moment de répit pour la "pauvre de moi", commencée par une escapade au restaurant. Pas sûr que la nappe était à carreaux rouges et blancs!
Bécassine s'en fichait, il fallait respirer ce jour-là, respirer comme le blanc-bec qui quitte son trou de béton ou de verdure, juste pour voir si cela vibre ailleurs. Tout était donc forcément beau, splendide, magnifique, jusqu'au moindre détail. Je regardais mes pieds et n'osais guère fouler le sol esméraldien. Enfin, je veux dire, le sol incrusté de vase précieuse dont personne ne savait ce qu'elle deviendrait le lendemain.
Après cette marche où le vent vrillait dans mes oreilles, j'ai regardé un carnet de dessins, échappé d'un tiroir en cours de tri. Le détour du trou de verdure à la plage à marée basse avait produit un passé séculaire, sacralisant soudain le nom d'un Esterhazy, échappé de Hongrie. Célébrant aussi cette vie dont je m'étais demandé ce qu'elle pouvait encore contenir d'humain.
Du sable aux dessins, j'ai soudain senti que je n'étais pas par hasard ici, à me morfondre, l'âme en peine, pour dire "mais oui" ou "mais non" à Madame de Grand-Air, pour l'aider à garder contenance, en raison présentant face à sa désespérance. Elle m'avait dit un jour "tu triomphes !", ignorant que ses tutoiements me faisaient toujours aussi mal aux tripes, ignorant aussi que je n'étais avide d'aucune gloire et que ma seule dignité tenait au respect qu'elle pouvait bien m'octroyer, fût-ce du bout des lèvres. Mais qui donc avait pu triompher, par delà moi, dans un de ces châteaux hantés où les soubrettes apportent leur gaîté? Le bon sens.Rien que le bon sens.
A rester des années muette comme une carpe, parce que la sobriété et petitesse de ta condition l'exigent, un jour tu vois ce que la mare aux canards cache aux yeux des prétentieux de l'apparence. Aussi saisissant que des nervures de marbre.
Mes congénères me firent la fête quand je suis retournée au bord de mon eau fangeuse. Les traces qu'ils laissent sont souples. Elles ne tiennent qu'à la lumière qui les transmet. C'est éphémère, cela s'efface, et on s'en passe.
Comme les vacances que je n'ai pas prises. Du sable tout ça, rien que du sable.