Vieille à l'hospice
Une copine très vieillissante de ma patronne vit une sale expérience dans l'hospice de la grand-ville. En matière d'hospitalité, on fait mieux. La pauvre dame avait pris froid et le savait. Bon, d'accord: Les vieux et leur entourage, ça les embête trop de se déplacer à temps à l'hospice. On leur a tellement dit qu'on y tombait malade, que les Diafoirus préparaient des salades infectes qu'ils faisaient passer par des fils bizarres, à vous arracher les poignets. Comble de comble, ils passaient leur temps à vous voler le sang pour chercher et recopier leurs trouvailles -jamais les mêmes, il faut toujours qu'un chiffre change- sur des machines secrètes inaccessibles, sauf pour eux et leurs pairs. Et puis, en plus, avec ce qu'ils appellent "les nouvelles technologies", ils descendent les gens sans arrêt au sous-sol pour les examiner en les saucissonnant un max, comme ça ils réalisent plus d'examens et c'est ce qui compte, le comptes.
Donc, cette pauvre dame, après avoir passé cinq jours sous le feu incessant de leur rampe ne marche plus, ne lit plus, ne mange plus, et parle à peine. Mieux, nos Diafoirus, déroutés car craignant une fausse route, changent chaque jour leurs breuvages infâmes. La seule chose qui leur est commune, c'est la terminaison en "ine". Moi, j'appelle ça de la bibine. Elle peut donner très sale mine et même parachever un corps fatigué.
Ma patronne m'a demandé de les ramener au bon sens car sa copine lui manque terriblement. Donc, avec mon parapluie par ce temps humide,je suis partie déambuler dans un autre sous-sol qu'ils appellent métro. Je ne vous dis pas la panique à bord : je prends une ligne qui s'arrête pour cause de colis piégé; j'en change, et c'est pareil. Je suis même obligée de montrer mon baluchon à carreaux rouge et blanc à un type qui s'en fout complètement. Je lui décrivais ce que j'avais mis dedans et il ne m'écoutait vraiment pas, le malpoli. On le paie donc à faire quoi ? Au bout d'une heure, j'arrive à destination.
Le point d'ancrage de l'hospice, c'est le snack. On y parle toutes les langues. Les gens sont pauvres, pas comme dans ma campagne. Ils respirent pas le bon air, c'est ça la grande pauvreté. A cause de mon long voyage, je demande un café. On me dit que la machine est en panne. J'en trouve ailleurs; c'est plus compliqué car il faut la monnaie.
Comme je me préoccupe pour la copine de ma patronne, j'ai aussi besoin d'aller aux toilettes. Je me méfie de ces endroits "polyvirus" où les gens de passage ont les mêmes besoins que moi à cause de leur inquiétude. Mon mouchoir à carreaux rouge et blanc fera l'affaire, plutôt que ce rouleau spécial qu'on cherche toujours à tirer sans succès.
A ne même pas savoir si du papier va se dérouler, et dans quel état!
L'ascenseur est également en panne. Je n'en avais jamais pris de ma vie et me réjouissais donc. Raté ! Passe encore.
Ce qui m'a révoltée, c'est qu'à peine arrivée dans la chambre, la vieille me demande si je peux l'accompagner aux toilettes. Je crains de m'emmêler dans les fils des Diafoirus. Elle en a même autour de la tête, histoire qu'elle puisse dérailler à la suroxygénation.
J'appelle un aide soignant. Je ne sais pas ce que ce gars soigne, mais il n'aide pas. Il doit s'occuper du voisin de la chambre d'à côté, qu'il me dit. La vieille se tortille de plus en plus. Je m'impatiente pour elle. D'une pièce à l'autre, je crie : "ça presse, ça presse!" Il faut croire qu'ils ne comprennent pas ma langue. Et v'là t'y pas qu'au lieu d'aider la dame à se déplacer, il va lui mettre sous les fesses un truc blanc en ferraille dont je vois tout de suite que ça lui fait mal au dos. Je m'exclame : "vous avez bien des jambes, monsieur ! Elle en a aussi !" Machine à café en panne, ascenseur en panne, homme en panne, la vieille mise en panne. Ici, c'est la maladie de la panne.
Cela me débecte. Une seule chose fonctionne : les élucubrations des blouses blanches. Je pique une gueulante devant ce gâchis. Ils disent que maintenant elle a la grippe mais je savais par ma patronne que la vieille s'était fait vacciner. Qui ment ? Le vaccin ou les humains ?
J'ai aussi entendu un homme, qui a l'air savant - l'air, c'est tout, croyez-moi bien-, glisser dans le couloir : "si ça se porte sur les reins, ça va être ennuyeux!", donc je me dis : ils vont encore la descendre dans leur sous-sol préféré. Eh bien, c'est ce qui s'est passé. Ils ont prétexté une nouvelle question pour chercher une nouvelle réponse.
La réponse était pourtant sur le visage de la vieille : "j'en ai assez!" Vous pensez qu'ils l'auraient regardée ou qu'ils lui auraient demandé son avis ? Nenni.
J'ai alors fait ce que ma patronne m'a inculqué quand il y a péril en la demeure: le poireau, jusqu'à ce qu'ils comprennent que je ne les lâcherais pas. Je vous dis pas la débandade. Le terme à retenir de leurs propos amènes et merdiques, quand ils ont compris que je ne partirais pas sans qu'ils me parlent, c'est "soins de confort". J'aimerais les y voir dans le confort des soins qu'ils prétendent procurer à la vieille. Je dirai rien à ma patronne, elle risquerait de m'envoyer chez le ministre qui n'est pas plus futé qu'eux, et je perdrais mon temps. Même ma grand-mère dans sa bergerie, elle a été mieux traitée vers la fin. Ses moutons lui tenaient chaud au coeur.
Au moment où j'ai décidé de partir car la vieille s'était endormie, un petit vieux autorisé à sortir de cette moulinette à transformer les patates en purée Mousline a dit : " comment je vais bien pouvoir rentrer chez moi?" Et le médecin lui a répondu :"allez donc à l'accueil commander un taxi!"
Oh, le menteur ! L'accueil était déjà fermé; ça se voyait du bout du couloir. Il pouvait toujours se fouiller, le vieux, pour l'obtenir, son taxi.
Je suis partie et je n'arrivais pas vraiment à partir. J'ai traîné en bas, le snack fermé, les admissions aussi. Un jeune en fauteuil roulant et le bras cassé, qui avait dû trouver que la vie c'était pas le pied, voulait fumer sa clope dehors; un passant lui a gentiment prêté son briquet. C'est hors de l'hospice que j'ai senti de l'humain.
Il faisait nuit noire. Je me suis perdue pour rentrer, comme beaucoup de ceux qui rendent visite à des vieux. Les vieux, ça rend souvent songeur.
Vous savez ce qu'un de ces Diafoirus avait même osé me dire : que l'hospice, c'était pas adapté pour eux ! Si c'est pas bien pour les vieux, pour qui ça pourrait donc l'être ? Je vous le demande.
J'ai fini par retrouver la bouche de métro et j'ai lu dans le journal quelque chose qui m'a encore plus dégoûtée : le ministre modernise le système de santé. Il ferait mieux de se moderniser les lunettes pour les adapter au réel. La vigne pousse une fois soutenue. Si personne ne soutient personne dans son système, c'est "no way".
Sur un bout de papier, avant de descendre, j'ai noté un nom que j'avais vu à plusieurs reprises dans la journée: Cochin. Je ne sais pas ce que ça signifie, je demanderai à ma patronne, mais cela peut toujours servir de retenir des mots. Il y a des jours où je trouve que retenir un mot, c'est plus important que de ranger mes pots de confiture. Quand je serai en congé, je chercherai dans le dictionnaire s'il y a du sens à Cochin.